Renforcer l’accès aux médicaments essentiels au Sénégal : un enjeu de souveraineté sanitaire

Dans un contexte de pression croissante sur les systèmes de santé et de baisse attendue des financements internationaux, l’accès aux médicaments essentiels constitue plus que jamais un pilier de la souveraineté sanitaire au Sénégal. À l’initiative de KELIN, en partenariat avec Enda Santé et avec le soutien d’ITPC Global, un atelier s’est tenu à Dakar le 30 avril 2025 afin de présenter les résultats d’une étude stratégique conduite en 2023 sur les mécanismes d’approvisionnement, les prix et les volumes des traitements contre le VIH, la tuberculose, le cancer du col de l’utérus et les vaccins.

Une dynamique en progrès, mais fragilisée

Le Sénégal a accompli des avancées importantes, notamment dans la lutte contre le VIH. À ce jour, les antirétroviraux (ARV) sont disponibles dans les 152 sites de dispensation, assurant une couverture thérapeutique de 93 % chez les personnes vivant avec le VIH. Cette performance repose sur une coordination efficace entre les programmes nationaux, les partenaires techniques et les dispositifs logistiques mis en place par l’État.

Cependant, cette dynamique reste fragile, comme l’a démontré le Dr Karim Diop, expert en gestion des approvisionnements. En 2023, les États-Unis assuraient 42,7 % du financement national de la riposte au VIH, contre 29,6 % pour le budget de l’État sénégalais. Le retrait progressif de l’appui américain à partir de 2025 laisse présager un déficit de 9 milliards de francs CFA, soit environ 14 millions d’euros sur les exercices 2025-2026. Cette situation menace la pérennité de l’offre de soins et la stabilité des chaînes d’approvisionnement.

L’étude : diagnostic stratégique et recommandations

Conduite par le Pr Papa Gallo Sow et le Dr Aboubacry Dramé, l’étude restituée lors de l’atelier a mis en évidence les forces et faiblesses du système actuel. Malgré des efforts notables d’engagement de l’Etat et de quantification des besoins, plusieurs médicaments restent difficilement accessibles, du fait de l’absence de fournisseurs, de prix prohibitifs ou de prévisions inadaptées. L’analyse confirme également la forte dépendance du pays aux importations (95 % des médicaments consommés), ce qui accentue la vulnérabilité face aux chocs mondiaux.

Pour y remédier, des recommandations concrètes ont été formulées :

  • À court terme, simplifier les procédures d’approvisionnement, sécuriser un fonds d’urgence pour les médicaments vitaux, renforcer les outils numériques de suivi logistique, et appuyer les PRA dans la gestion des stocks.
  • À moyen et long terme, développer une politique nationale de souveraineté pharmaceutique, favoriser la production locale via des partenariats public-privé, intégrer les traitements essentiels dans la Couverture Maladie Universelle (CMU), et renforcer les capacités nationales d’achat stratégique.

Lever les obstacles liés à la propriété intellectuelle

Un autre levier majeur identifié est la réforme du cadre juridique entourant la propriété intellectuelle (PI). Othoman Mellouk, représentant d’ITPC Global, a plaidé pour une exploitation optimale des flexibilités prévues par l’Accord sur les ADPIC. Il a notamment recommandé l’exclusion temporaire des médicaments de la brevetabilité jusqu’en 2033, la réforme de l’Accord de Bangui au sein de l’OAPI, et la création d’un office national des brevets accompagné d’une loi nationale sur la PI.

Une volonté politique nécessaire et urgente

L’atelier s’est conclu par une allocution de M. Mamadou Dieng, conseiller technique du Ministre de la Santé, qui a rappelé que la souveraineté sanitaire ne peut se construire sans une maîtrise nationale de la recherche, de l’innovation et de l’accès aux traitements. Dans un contexte post-subvention, le Sénégal doit désormais s’appuyer sur la mobilisation collective de l’État, de la société civile, du Parlement et des partenaires techniques pour garantir un accès équitable, durable et souverain aux produits de santé.

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